Exécution d’une sentence arbitrale  et intervention d’un liquidateur étranger

Arrêt de la Cour de cassation, Première Chambre Civile, 6 novembre 2024, Pourvoi n° 22-16.580, 22-19.327 et 23-15.649

La Cour de cassation s’est prononcée, dans un arrêt du 6 novembre 2024, sur une série de pourvois concernant l’exécution en France d’une sentence arbitrale issue d’un litige commercial opposant la société Antrix Corporation Limited à la société Devas Multimedia Private Limited. Le contentieux soulevait notamment des questions relatives à l’intervention d’un liquidateur désigné par une juridiction étrangère dans une procédure en France.

Contexte du litige

En 2005, les sociétés Antrix (entreprise indienne) et Devas Multimedia avaient conclu un contrat commercial contenant une clause compromissoire, désignant New Delhi comme siège de l’arbitrage et prévoyant l’application des règles de la CCI ou de la CNUDCI. Suite à un différend, la société Devas saisit la Chambre de Commerce Internationale (CCI) d’une demande d’arbitrage, ce qu’a contesté Antrix, invoquant une absence d’accord formel sur le choix des règles applicables.

Par une sentence rendue en 2015, le tribunal arbitral, siégeant à New Delhi, a retenu sa compétence et condamne Antrix à verser des dommages et intérêts à Devas. En France, la société Devas a engagé alors une procédure d’exécution de cette sentence.

Cependant, entre-temps, la société Devas a été placée en liquidation judiciaire par un jugement indien de 2021, désignant un liquidateur, M. [P]. Ce dernier a demandé à intervenir volontairement dans la procédure française, ce qui a conduit à plusieurs pourvois examinés conjointement par la Cour de cassation.

Les principales questions en cause

1 – L’intervention du liquidateur désigné par un jugement étranger

Le liquidateur, agissant en vertu d’une décision de justice indienne, invoque son droit à représenter la société Devas dans le cadre de la procédure française.

    Décision de la Cour :
    La Cour de cassation rappelle que la reconnaissance en France d’un jugement étranger exige une procédure d’exequatur. En l’absence de cette reconnaissance, les représentants légaux de la société ne peuvent être dessaisis de leur pouvoir de représentation. Ainsi, le liquidateur étranger n’était pas recevable à intervenir dans la procédure française.

    2 – L’interprétation de la clause compromissoire

    Antrix contestait la régularité de la constitution du tribunal arbitral, arguant que la clause ne permettait pas de recourir directement à un arbitrage institutionnel sous l’égide de la CCI.

      Décision de la Cour :
      La Cour valide l’interprétation de la cour d’appel, qui avait retenu une lecture pragmatique de la clause compromissoire. Selon elle, la volonté commune des parties d’opter pour un arbitrage, qu’il soit ad hoc ou institutionnel, justifiait que la société Devas ait pu saisir directement la CCI.

      « 12. Après avoir énoncé qu’il lui appartenait d’interpréter la clause, guidée par un principe de cohérence et d’utilité, et de privilégier une interprétation qui confère un effet à la clause dont l’objet est de tendre à la mise en place effective d’un arbitrage, afin d’éviter qu’une partie ne puisse se soustraire à ses engagements et remettre en cause son consentement à l’arbitrage, la cour d’appel a retenu que l’alinéa c) de la clause, selon lequel « [l]a procédure d’arbitrage sera conduite conformément aux règles et procédures (rules and procedures) de la C.C.I. (Chambre de commerce internationale) ou de la CNUDCI », manifestait la volonté commune des parties de soumettre leur litige soit à un arbitrage institutionnel régi par le règlement de la CCI, soit à un arbitrage ad hoc, dès lors que le renvoi aux « règles et procédures » n’était pas cantonné aux seules modalités de déroulement de l’arbitrage après désignation des arbitres, que les parties avaient, au moment de la conclusion de la clause, accepté que la plus diligente puisse choisir entre les deux modes d’arbitrage, sans nouvel accord préalable, que cette lecture non restrictive de la clause, ayant des conséquences quant aux modalités de désignation des arbitres, était de nature à lui donner toute efficacité, et, qu’enfin, la clause relative à la répartition des frais de l’arbitrage n’était pas incompatible avec cette interprétation.

      13. En l’état de ces constatations et appréciations relevant de l’exercice de son pouvoir souverain d’interprétation de la clause d’arbitrage rendue nécessaire par son imprécision, exclusive de toute dénaturation, c’est sans avoir à procéder à la recherche inopérante invoquée à la dernière branche du moyen que la cour d’appel a rejeté le moyen tiré de la constitution irrégulière du tribunal arbitral dès lors que la société Devas avait pu choisir de recourir à l’arbitrage institutionnel, ce qui emportait la désignation du tribunal arbitral conformément à l’article 8 du règlement de la CCI, justifiant ainsi légalement sa décision. »

      Cette lecture, guidée par un principe de cohérence et d’efficacité, empêche une partie de se soustraire à ses engagements. Le juge donne la priorité à une interprétation de la clause qui lui confère un effet à une clause contractuelle.

      Le juge doit être pragmatique et interpréter le contrat pour lui donner le plein effet sans dénaturer la volonté commune des parties.

      Cet arrêt rappelle l’utilité de veiller à une rédaction claire et précise des clauses d’un contrat pour éviter les litiges qui peuvent ensuite naître à l’occasion de leur exécution.

      Conclusion

      Par cet arrêt, la Cour de cassation réaffirme deux principes essentiels :

      • L’irrecevabilité d’une intervention fondée sur une décision étrangère non revêtue de l’exequatur.
      • Une interprétation pragmatique des clauses compromissoires pour garantir l’efficacité de la justice arbitrale. Le juge français confirme ainsi le caractère exécutoire de la sentence arbitrale rendue en Inde.

      Une réflexion sur “Exécution d’une sentence arbitrale  et intervention d’un liquidateur étranger

      1. Ping : Procédure d’insolvabilité au Portugal et effets sur l’action judiciaire en recouvrement en France. – French Law .Blog

      Laisser un commentaire