Prescription de la responsabilité de l’expert-comptable : le délai butoir de vingt ans

Le délai de la prescription extinctive ne peut être reporté au-delà de vingt ans à compter du jour de la
naissance du droit. Le point de départ de ce délai butoir de vingt ans pour faire valoir un droit court, s’agissant d’une action en responsabilité d’un expert-comptable pour manquement à ses obligations contractuelles envers son client, à compter du fait générateur du dommage.

Cour de cassation, chambre commerciale, 17 septembre 2025, pourvoi n° 24-12.392

Les faits : une absence d’affiliation à la caisse de retraite

Un graphiste indépendant, avait confié dès 1990 une mission comptable, fiscale et sociale à une société d’expertise comptable.
Le 16 février 2017, le graphiste découvre qu’il n’a jamais été affilié à la Caisse de retraite des professions libérales.

Le 29 août 2018, il assigne la société en responsabilité contractuelle et demande réparation du préjudice subi sur plus de vingt années d’activité.

La cour d’appel applique le délai butoir

La cour d’appel d’Orléans (12 décembre 2023) déclare prescrite l’action pour la période antérieure au 29 août 1998, en application de l’article 2232 du code civil, qui fixe un délai butoir de vingt ans.

Elle condamne l’expert-comptable uniquement pour la période postérieure à août 1998.

Le pourvoi

Le Graphiste soutenait que ce délai butoir portait atteinte à son droit d’accès au juge et donc à l’a convention européenne des droits de l’homme, dès lors qu’il n’avait eu connaissance du dommage qu’en 2017.

Le graphiste a aussi invoqué le fait que le point de départ de ce délai butoir de 20 ans était la naissance du droit soit au jour de la conclusion du contrat.

La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation a rejeté les arguments.

La Cour de cassation confirme en premier lieu la double limite temporelle en matière de prescription.

« Aux termes de l’article 2224 du code civil, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. »

« Aux termes de l’article 2232 de ce code, le report du point de départ, la suspension ou l’interruption de la prescription ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit. »

La chambre commerciale écarte en deuxième lieu l’argument selon lequel cette limite de l’article 2232 du code civil restreindrait l’accès au juge de manière excessive.

« La limitation du droit d’accès au juge qui en découle (…) ne restreint pas le droit d’accès au juge d’une manière ou à un point tels que ce droit s’en trouve atteint dans sa substance même. (…) Elle répond à un but légitime de sécurité juridique et est proportionnée à ce but ».

La Cour devait ensuite statuer sur le point de départ de ce délai de 20 ans.

La Cour de cassation juge que « Le point de départ du délai prévu à l’article 2232 du code civil, qui est distinct de celui prévu par l’article 2224, court (…) à compter du fait générateur du dommage ».

Ainsi, dans cette affaire l’expert-comptable ne pouvait être condamné pour l’absence d’affiliation antérieurement à 1998. La partie de ce dommage est prescrit car invoqué plus de 20 ans après la survenance du fait générateur.

Retenir le fait générateur du dommage comme point de départ semble évident en matière de responsabilité. Adopter une solution différente revenant à ôter toute efficacité à ce texte. Le délai butoir perdrait totalement de son utilité s’il devait courir à compter de la date de conclusion d’un contrat jamais souscrit. Cela permettrait alors de rendre une faute quasi imprescriptible si elle consiste en l’absence de souscription d’une assurance ou en l’absence de conclusion d’un contrat.

La solution de la Cour de cassation est donc juridiquement fondée mais surtout pragmatique.

La Cour de cassation confirme ainsi la prééminence du délai butoir de vingt ans et lui confère aussi sa pleine efficacité en matière de responsabilité professionnelle en fixant le point de départ au fait générateur du dommage.

Par Olivier Vibert

Avocat au Barreau de Paris

SELARL KBESTAN.

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