Procédure d’insolvabilité au Portugal et effets sur l’action judiciaire en recouvrement en France.

Cass. com., 5 févr. 2025, n° 23-12.588

Dans une décision récente, la Cour de cassation rappelle que lorsqu’un débiteur fait l’objet d’une procédure collective dans un État membre de l’Union européenne, une juridiction française ne peut pas ignorer les effets de cette procédure d’insolvabilité et poursuivre l’examen d’une action en paiement.

Cet arrêt constitue une application du règlement (UE) 2015/848 sur les procédures d’insolvabilité et son implication pour les procédures judiciaires de recouvrement exercées dans les autres pays de l’Union européenne, notamment en France.

Un litige transfrontalier entre la France et le Portugal,

La société Carmo Branco, distributeur portugais des produits de la marque Bourjois, achetait ses marchandises auprès de la société HFC Prestige International Operations Switzerland (anciennement Coty Geneva) et distribuait ces produits sous contrat avec Coty France.

Un contentieux commercial est engagé en France, Coty France et HFC réclamant à Carmo Branco le paiement de factures impayées pour un montant de 156 934,16 euros.

Le 21 janvier 2019, le tribunal de commerce de Paris condamne la société portugaise à payer ces sommes. Cette dernière fait appel de cette décision.

Une procédure d’insolvabilité au Portugal

En cours d’instance, le tribunal portugais (tribunal de commerce de Sintra) ouvre une procédure d’insolvabilité contre Carmo Branco et désigne un administrateur de l’insolvabilité.

La cour d’appel de Paris confirme la condamnation de la société portugaise malgré la procédure d’insolvabilité.

La Cour de cassation sanctionne la Cour d’appel qui n’a pas tenu compte des effets en France de la procédure d’insolvabilité au Portugal.

La Cour de cassation rappelle que, selon l’article 18 du règlement (UE) 2015/848 : les effets d’une procédure insolvabilité sur une instance judiciaire dans un État membre sont régis exclusivement par la loi de cet État.

« Les effets de la procédure d’insolvabilité sur une instance ou une procédure arbitrale en cours concernant un bien ou un droit qui fait partie de la masse de l’insolvabilité d’un débiteur sont régis exclusivement par la loi de l’État membre dans lequel l’instance est en cours ou dans lequel le tribunal arbitral a son siège. »

La Cour de cassation rappelle ensuite que selon la Loi française le jugement d’ouverture d’une procédure collective interrompt ou interdit toute action en justice intentée par un créancier dont la créance est antérieure à cette ouverture.

Si une instance est déjà en cours, elle est suspendue jusqu’à ce que la créance soit déclarée. Elle peut ensuite reprendre, mais uniquement pour constater et fixer le montant de la créance, sous le contrôle du mandataire judiciaire, l’administrateur ou le commissaire à l’exécution du plan.

En effet quand une société est en redressement ou en liquidation judiciaire un créancier ne peut pas engager d’action en recouvrement. Il doit simplement déclarer sa créance.

Si la procédure a déjà été engagée alors il peut poursuivre la procédure mais uniquement pour faire fixer le montant de sa créance. Les questions relatives au paiement seront ensuite réglées par le mandataire judiciaire ou le liquidateur.

Une procédure d’insolvabilité européenne aura le même effet qu’une procédure française sur les procédures judiciaires exercées en France.

La cour d’appel de Paris aurait dû suspendre l’instance en raison de la faillite ouverte au Portugal, mais elle ne l’a pas fait. Elle ne pouvait pourtant condamner Carmo Branco sans déclaration préalable de la créance dans la procédure d’insolvabilité portugaise.

Cette décision souligne l’obligation pour les juges nationaux de prendre en compte les interactions entre procédures européennes.

Le règlement (UE) 2015/848 vise précisément à éviter que des créanciers poursuivent individuellement leurs actions dans un autre pays, en contournant l’insolvabilité déclarée dans l’État d’origine du débiteur.

La comparaison avec une autre décision réente commentée dans un autre article (Cour de cassation, Première Chambre Civile, 6 novembre 2024, Pourvoi n° 22-16.580, 22-19.327 et 23-15.649 ) illustre les bénéfices pratiques de ce règlement européen (UE) 2015/848.

Pour les pays hors union européenne comme le cas de l’Inde dans la décision de novembre 2024, il était nécessaire de demander l’exequatur du jugement de liquidation pour que celui-ci soit opposable en France.

Les décisions de liquidation européennes produisent quant à elles directement leurs effets en France sans qu’il soit donc nécessaire d’engager des formalités préalables. La procédure collective peut donc avoir des effets directement au sein des autres pays de l’Union européenne et notamment quant aux procédures de recouvrements exercées par des créanciers.

Une décision de liquidation au Portugal aura donc les mêmes conséquences procédurales en France que si la procédure d’insolvabilité avait été ouverte en France.

Par Olivier Vibert, Avocat, Paris,

KBESTAN cabinet d’avocats de droit des affaires à Evreux et Paris

www.kbestan.fr

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