Cour de cassation, com., 29 janvier 2025, n° 23-20.836
L’action paulienne peut être mise en œuvre lorsqu’un actif facilement saisissable est remplacé par une somme d’argent plus aisée à dissimuler. Cette décision rappelle que l’action paulienne n’est pas conditionnée à la preuve de l’insolvabilité apparente du débiteur
Contexte et faits
Le litige oppose M. [O], expert-comptable, à la société LBR, à M. [N] et au liquidateur de la société La Brasserie.
Cet expert-comptable avait assuré la tenue de la comptabilité de la société La Brasserie avant d’être remercié en 2016. Faute d’être payé pour ses prestations, il a engagé une action en recouvrement de ses honoraires et a obtenu une condamnation en sa faveur le 6 février 2019.
En amont de cette condamnation, le 15 juin 2018, la société La Brasserie avait cédé son fonds de commerce à la société LBR, créée pour la reprise et détenue par M. et Mme [N]. Peu après, La Brasserie a été placée en liquidation judiciaire.
Estimant que cette cession avait pour effet de rendre plus difficile l’exécution de sa créance en substituant un bien saisissable par des liquidités plus facilement dissimulables, M. [O] a engagé une action paulienne afin de faire déclarer cette cession inopposable à son encontre.
L’action paulienne
Cette action constitue une arme intéressante pour un créancier. Il s’agit d’un mécanisme juridique permettant à un créancier de contester certains actes accomplis par son débiteur lorsqu’ils sont réalisés en fraude de ses droits.
Elle est désormais définie en France à l’article 1341-2 du code civil :
« Le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d’établir, s’il s’agit d’un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude. »
Cette action reste évidemment soumises à plusieurs conditions :
Les opérations doivent rendre plus difficile ou impossible le recouvrement de la créance.
Le créancier doit avoir subit un préjudice soit en diminuant son droit de gage général, soit en rendant plus difficile l’exercice de ses droits.
Il faut démontrer une fraude intentionnelle c’est-à-dire que le débiteur doit avoir eu connaissance du préjudice causé au créancier au moment de l’acte.
La Cour d’appel avait requis que soit prouvée l’insolvabilité
Par un arrêt du 6 juillet 2023, la cour d’appel de Douai rejette l’action paulienne au motif que M. [O] ne rapportait pas la preuve de l’insolvabilité apparente de la société La Brasserie au moment de la cession. Selon la cour, cette condition était nécessaire pour caractériser la fraude aux droits des créanciers.
La Cour de cassation censure cette position,
Pour la chambre commerciale :
- L’action paulienne ne nécessite pas la preuve de l’insolvabilité apparente du débiteur notamment lorsque la cession d’un bien aisément saisissable est remplacée par une somme d’argent plus aisée à dissimuler.
- Le préjudice du créancier est caractérisé dès lors qu’un actif lui permettant de recouvrer sa créance est remplacé par une valeur plus difficilement appréhendable, ce qui est précisément le cas dans cette affaire.
La Cour de cassation juge que « Le créancier dispose de l’action paulienne lorsque la cession, bien que consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler. Le préjudice du créancier étant ainsi caractérisé, le succès de l’action paulienne n’est alors pas subordonné à la preuve de l’appauvrissement du débiteur. »
La Cour d’appel ne pouvait donc pas exiger que l’insolvabilité soit démontrée pour admettre l’action paulienne.
Conséquences de cette décision
La Cour de cassation clarifie les conditions d’exercice de l’action paulienne.
La substitution d’un fonds de commerce par une somme d’argent peut suffire à caractériser une fraude sans qu’il soit nécessaire de prouver une insolvabilité manifeste du débiteur.
Cette position de la Cour de cassation renforce cet outil dont dispose les créanciers.
Avec des procédures judiciaires en recouvrement parfois longues le risque est grand pour un créancier que son débiteur s’appauvrisse ou se sépare de certains actifs le temps de la procédure.
La solution adoptée par la Cour de cassation sécurise un créancier puisqu’il pourra faire déclarer l’inopposabilité de certaines opérations qui diminuaient ses chances d’être payé.
Afin dé prévenir une telle situation rappelons qu’un créancier peut aussi demander en début de procédure à être autorisé à prendre une mesure conservatoire pour essayer de bloquer un actif le temps d’une procédure en recouvrement. S’il ne l’a pas fait ou si le juge n’a pas accepté d’accordé une mesure conservatoire, il lui restera éventuellement cette action paulienne pour le protéger contre un débiteur indélicat.
Cette jurisprudence s’inscrit dans une volonté constante de lutte contre les détournements d’actifs au détriment des créanciers.
Par Olivier Vibert, Avocat à Paris, Kbestan