Deux arrêts rendus le même jour viennent préciser la portée des articles L. 145-41 et L. 145-15 du code de commerce. La Cour de cassation affirme que toute clause résolutoire prévoyant un délai inférieur à un mois après commandement resté infructueux est réputée non écrite dans son intégralité. Elle confirme aussi que la réforme de 2014 s’applique aux baux en cours et aux instances postérieures à son entrée en vigueur.
Cour de cassation, troisième chambre civile, 6 novembre 2025, n° 23-21.334 et n° 23-21.454
1. Les faits : deux litiges autour de baux commerciaux
Les deux affaires opposent des bailleurs et leurs locataires dans des situations proches.
Dans la première (n° 23-21.334), les consorts [L], bailleurs d’un local commercial à Lyon, avaient délivré un commandement de faire le 5 juillet 2013 à leur locataire, la société V. 17, pour non-respect d’une clause interdisant les travaux sans autorisation. La clause résolutoire du bail prévoyait que le contrat serait résilié quinze jours après un commandement resté infructueux. Les bailleurs avaient ultérieurement refusé le renouvellement du bail, sans indemnité d’éviction.
Dans la seconde (n° 23-21.454), la SCI San Marco, propriétaire d’un local commercial à Montpellier, avait délivré en janvier 2015 à sa locataire une sommation de justifier d’une assurance et de payer des charges, visant une clause résolutoire fixant là aussi un délai de quinze jours. Elle demandait au juge de constater la résiliation du bail.
Dans les deux cas, la question centrale portait sur la validité d’une clause résolutoire prévoyant un délai inférieur à un mois et sur l’application de la réforme du 18 juin 2014, qui a modifié l’article L. 145-15 du code de commerce.
2. La question : quelle portée pour la loi du 18 juin 2014 et la sanction du délai illicite ?
Avant 2014, les clauses contraires aux articles L. 145-37 à L. 145-41 du code de commerce étaient nulles. Depuis la loi du 18 juin 2014 n°2014-626, elles sont réputées non écrites dans leur totalité, sanction plus adaptée.
Deux questions se posaient donc :
- Cette loi s’applique-t-elle aux baux conclus avant son entrée en vigueur mais dont les effets persistent ?
- Une clause résolutoire prévoyant un délai de quinze jours au lieu d’un mois doit-elle être seulement partiellement neutralisée ou réputée non écrite dans son intégralité ?
3. La solution : une application immédiate et une sanction de la totalité de la clause résolutoire
➤ Première décision (n° 23-21.334)
La Cour casse l’arrêt de la cour d’appel de Lyon pour avoir appliqué l’ancien régime. Elle rappelle que :
« Vu les articles 2 du code civil, L. 145-15, dans sa rédaction issue de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014, et L. 145-41, alinéa 1er, du code de commerce
Aux termes du dernier de ces textes, toute clause insérée dans le bail prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux. Le commandement doit, à peine de nullité, mentionner ce délai.
Selon le deuxième, sont réputés non écrits, quelle qu’en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont notamment pour effet de faire échec aux dispositions de l’article L. 145-41 du code de commerce.
Il résulte du premier que la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.
Une clause résolutoire insérée dans un bail commercial prévoyant un délai inférieur à un mois après commandement resté infructueux a pour effet de faire échec aux dispositions d’ordre public de l’article L. 145-41 du code de commerce et doit être réputée non écrite si le bail est en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014.
Dès lors que l’instance, ayant pour objet de faire constater l’acquisition d’une clause résolutoire dont la validité est contestée au regard de cette loi, est en cours, les effets du commandement délivré au visa de cette clause ne sont pas définitivement réalisés, de sorte que la validité de la clause doit être appréciée au regard de cette loi nouvelle.
Pour constater l’acquisition de la clause résolutoire, l’arrêt constate que le commandement a été délivré avant l’entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014 et en déduit que seule la nullité de la clause du bail prévoyant un délai de quinze jours était encourue aux termes de la législation alors en vigueur et que la sanction du réputé non écrit instaurée par cette loi à l’article L. 145-15 du code de commerce n’est pas applicable. »
Plus simplement, même si le commandement avait été délivré avant le 18 juin 2014, la validité de la clause devait être appréciée au regard de la loi nouvelle, puisque l’instance était toujours en cours au moment où la Loi était entrée en vigueur.
La Cour précise qu’une clause résolutoire prévoyant un délai inférieur à un mois après commandement fait échec aux dispositions d’ordre public de l’article L. 145-41 et doit donc être réputée non écrite, si le bail est encore en vigueur au jour de la réforme.
➤ Seconde décision (n° 23-21.454)
Dans la seconde affaire, la Cour confirme le raisonnement de la Cour d’appel qui avait jugé non écrite la clause résolutoire dans sa totalité :
« La mention, dans la clause résolutoire d’un bail commercial, d’un délai inférieur à un mois après commandement resté infructueux a pour effet de faire échec aux dispositions d’ordre public de l’article L. 145-41 […] Une telle clause est donc réputée non écrite en son entier. »
La SCI San Marco ne pouvait donc pas se prévaloir d’une clause fixant un délai de quinze jours.
4. La portée : une double clarification
Ces deux décisions, rendues le même jour, confirment que la réforme du 18 juin 2014 s’applique aux baux en cours et aux instances postérieures, même si les manquements invoqués sont antérieurs.
Les décisions rappellent aussi que la clause résolutoire fixant un délai inférieur à un mois est entièrement réputée non écrite.
La Cour consacre ainsi une lecture stricte du texte : le délai d’un mois prévu par l’article L. 145-41 du code de commerce est d’ordre public absolu, et toute clause dérogatoire est neutralisée dans son ensemble.
Pour les bailleurs, cette solution impose de vérifier la conformité des clauses résolutoires de leurs baux anciens, sous peine de les voir inopérantes.
Pour les locataires, elle constitue une garantie supplémentaire contre les résiliations fondées sur une clause fixant un délai de moins d’un mois.
Par Olivier Vibert, Avocat, Paris