Face à une fraude dite « au président », la banque doit contrôler un ordre de virement suspect auprès de la personne désignée par le contrat comme habilitée à donner les instructions, même si cette personne est précisément la personne trompée par l’escroquerie.
Cour de cassation, chambre commerciale, 19 novembre 2025, n° 24-19.776
La fraude est malheureusement classique. Pendant vingt jours, en mai 2021, la secrétaire-comptable d’une PME, habilitée par mandat à initier les paiements, exécute douze virements pour près de 900 000 euros. Elle pensait répondre à des instructions urgentes du « président », en réalité un escroc.
L’entreprise poursuit alors sa banque, le CIC Sud-Ouest, pour manquement à son devoir de vigilance. La cour d’appel lui donne raison, jugeant que la banque aurait dû vérifier les ordres directement auprès du dirigeant, seule personne capable d’infirmer la supercherie.
La Cour de cassation adopte une lecture beaucoup plus stricte.
« Le banquier, tenu à l’obligation de ne pas s’immiscer dans les affaires de son client, ne doit l’alerter qu’en présence d’anomalies apparentes aisément décelables par un professionnel normalement diligent.
En présence d’ordres de virement affectés d’anomalies apparentes, la banque est tenue, en exécution de son obligation de vigilance, d’en vérifier la régularité auprès de la personne contractuellement habilitée à les transmettre. »
La Cour de cassation rappelle que l’obligation de vigilance ne s’exerce pas auprès d’une personne abstraitement la plus fiable, mais auprès de celle qui, selon les conventions de compte, a reçu habilitation pour transmettre les ordres.
Peu importe, dit-elle, que cette personne ait été trompée. La banque peut se fier à l’organisation contractuelle choisie par le client qui fixe la marche à suivre. Le manquement retenu par la cour d’appel ne pouvait donc être légalement fondé.
L’avocat général avait pourtant souligné un paradoxe : dans le mécanisme de la fraude au président, demander confirmation à la personne dupée est pratiquement inutile, puisqu’elle est psychologiquement sous emprise et confirmera ce que l’escroc veut. Cette réalité opérationnelle, relevée dans un avis très pédagogique, expliquait selon lui pourquoi, dans un arrêt de 2024, la Cour avait semblé indiquer que la confirmation devait venir du « dirigeant » (C. Cass. Com 2 octobre 2024 n°23-13.282).
Cette décision de 2024 avait en effet jugé que : « L’arrêt, ayant retenu l’existence de circonstances inhabituelles entourant les virements litigieux laissant suspecter une possible « fraude au président », en a exactement déduit, sans exiger l’obtention d’un nouvel ordre de paiement, que la banque aurait dû vérifier la régularité des ordres de virement auprès du dirigeant, seule personne contractuellement habilitée à les valider. »
Le rapporteur public estimait ainsi qu’une lecture efficace du devoir de vigilance plaiderait pour que la banque s’adresse à une tierce personne, non impliquée dans la manipulation.
Mais il reconnaissait que l’arrêt du 2 octobre 2024 pouvait aussi se lire autrement : le terme « dirigeant » y renvoyait peut-être, non pas au président au sens organique, mais à la personne contractuellement investie de pouvoirs dans les relations bancaires. Pour éviter de figer la jurisprudence dans une fausse direction, il invitait la Cour à revisiter cette formulation afin de revenir à une logique purement contractuelle.
C’est précisément ce que fait l’arrêt du 19 novembre 2025.
La Cour clarifie que la banque n’a pas à réinventer l’organisation interne de son client ni à contourner le mandat qu’il a lui-même instauré.
Les ordres transmis par une personne habilitée peuvent être suspects. Dans ce cas, la banque doit vérifier leur régularité, mais auprès de cette même personne, parce que le contrat le prévoit ainsi.
La Banque ne peut être tenue d’aller chercher une confirmation auprès d’un autre interlocuteur, même si cela semble, en théorie, plus prudent. Le devoir de vigilance demeure un devoir d’alerte contractuelle en présence d’anomalies, non un devoir d’enquête.
En recentrant le contrôle sur l’habilitation contractuelle, la Cour de cassation évite d’imposer aux banques une obligation difficilement réalisable, voire incompatible avec l’organisation interne du client.
Les pratiques des banques devront cependant évoluer avec la désignation d’une personne à contacter en cas de suspicion de fraude. L’objectif reste de trouver des recours pour déjouer une fraude précisément visant la personne habilitée pour la banque.
Les systèmes de double validation mis en place sont là encore utiles et limitent peut-être ce risque. Les limites de virement bien que contraignante pour une entreprise permet là encore une sécurité renforcée face à ces fraudes.
Les entreprises doivent établir des mécanismes internes de contrôle pour prévenir ces fraudes notamment en demandant aux banques un double contrôle pour certaines opérations.
Par Olivier Vibert,
Avocat au Barreau de Paris et associé au sein du cabinet d’avocats Kbestan, cabinet en droit des affaires à Evreux et Paris