Cass. civ. 1ère, 9 juillet 2025, n°24-19.647
Dans cette décision du 9 juillet 2025, la première chambre civile de la Cour de cassation procède à un revirement jurisprudentiel important concernant les prêts libellés en devises étrangères, notamment en francs suisses, imposant aux banques une obligation de transparence renforcée sur les risques de change durant toute la durée du contrat.
Un contexte délicat : changement de situation et risque de change
Mme O. avait souscrit plusieurs prêts immobiliers libellés en francs suisses auprès de la Caisse d’épargne d’Alsace, remboursables dans cette même devise. Employée initialement en Suisse, elle bénéficiait ainsi de revenus en francs suisses. À la suite de son licenciement suivi d’une mise à la préretraite, ses ressources financières furent principalement constituées d’euros, entraînant un risque de change nouveau en cours de contrat.
Estimant que les clauses de ses contrats étaient abusives et au regard du défaut de mise en garde de la banque, elle a assigné cette dernière en justice.
L’analyse initiale de la cour d’appel
La cour d’appel de Colmar avait rejeté ses demandes en estimant qu’il n’existait aucun risque de change puisqu’elle percevait initialement ses revenus en francs suisses et n’avait pas eu, au départ, à subir les fluctuations monétaires. Cette décision se fondait sur la solution de la Cour de cassation rendue en 2023. (1ère Civ., 1 mars 2023, pourvoi n° 21-20.260, publié)
Revirement clair et explicite de la Cour de cassation
La Cour de cassation effectue ici un revirement en exigeant que l’analyse des clauses abusives ne se limite pas au moment initial de la conclusion du prêt, mais prenne en compte l’ensemble des circonstances potentiellement évolutives durant toute la durée du contrat. Elle précise explicitement :
« Lorsqu’un prêt, consenti dans une devise étrangère, stipule des clauses relatives à des modalités de remboursement comportant un risque de change pesant sur l’emprunteur, il convient, pour assurer une protection adéquate et efficace du consommateur conforme aux objectifs de la directive précitée, de prendre en compte l’ensemble des circonstances qui entourent la conclusion du contrat, ainsi que leur évolution, raisonnablement prévisible, jusqu’à son terme, permettant de satisfaire l’exigence de transparence nécessaire à sa complète information. Tel est le cas, notamment, de celle tenant à la qualité de travailleur transfrontalier de l’emprunteur auquel le crédit est proposé et de celle tenant à l’objet du crédit affecté, tous deux rattachés, par leur domiciliation ou localisation, à un État dans lequel la monnaie ayant cours légal est différente de la monnaie de compte. »
L’établissement financier « doit fournir à l’emprunteur des informations claires et compréhensibles pour lui permettre de prendre sa décision avec prudence et en toute connaissance de cause des risques inhérents à la souscription d’un tel prêt. Il lui incombe à ce titre d’exposer de manière transparente le fonctionnement concret du mécanisme contractuel proposé, sur toute sa durée, afin de permettre à l’emprunteur de mesurer, notamment, l’incidence sur les remboursements d’une dépréciation importante de la monnaie ayant cours légal dans l’État où le bien financé est situé et/ou dans lequel l’emprunteur est domicilié et viendrait à percevoir ses revenus au cours du contrat. »
La Cour de cassation opère donc un revirement de sa décision de 2023 (1ère Civ., 1 mars 2023, n°21-20.260). Ce nouvel arrêt modifie radicalement cette approche en imposant désormais une analyse prospective du risque de change.
Les raisons du revirement
La Cour explique ce changement en se référant explicitement à la jurisprudence européenne, notamment les arrêts de la CJUE (CJUE, 30 avril 2014, Kasler, C-26/13 ; CJUE, 20 septembre 2017, Andriciuc, C-186/16), qui imposent une obligation accrue de transparence aux banques, leur demandant d’informer les emprunteurs sur les risques encourus tout au long du contrat et non seulement au moment de la souscription.
Implications pratiques
Ce revirement contraint donc les banques à renforcer significativement leur devoir de conseil et d’information, particulièrement dans les contrats de prêts libellés en devises étrangères. Les établissements financiers doivent désormais anticiper et expliquer clairement les risques de variations monétaires possibles pendant toute la durée du contrat, en tenant compte d’éventuels changements personnels ou professionnels pouvant affecter la capacité de remboursement des emprunteurs.
Article rédigé par Olivier VIBERT