Action sociale ut singuli : les associés disposent d’un intérêt propre même en cas d’action concomitante de la société

Cour de cassation, chambre commerciale, 7 mai 2025 pourvoi n°23-15.931

« Les associés sont investis d’un droit propre d’agir en réparation du préjudice subi par la société, lequel n’est pas affecté par l’exercice concomitant de son action par la société. »

Les faits
Par un arrêt rendu le 7 mai 2025, la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation a eu à se prononcer sur la recevabilité d’une action sociale ut singuli engagée par deux associés d’une SARL contre une ancienne gérante. Ces derniers demandaient la réparation de préjudices causés à la société d’ingénierie bâtiment [D]. [R].
L’action ut singuli est une action engagée par un ou plusieurs associés d’une société pour demander pour le compte de la société réparation du préjudice subi par cette dernière pour des manquements à la gestion commis par les dirigeants.

Concernant les SARL l’action ut singuli est prévue à l’article L223-22 du code de commerce alinéa 3 :
« Outre l’action en réparation du préjudice subi personnellement, les associés peuvent, soit individuellement, soit en se groupant dans les conditions fixées par décret en Conseil d’Etat, intenter l’action sociale en responsabilité contre les gérants. Les demandeurs sont habilités à poursuivre la réparation de l’entier préjudice subi par la société à laquelle, le cas échéant, les dommages-intérêts sont alloués. »

La procédure
La cour d’appel de Basse-Terre avait déclaré irrecevables les demandes des associés.
Elle a jugé que l’action sociale ut singuli devait être regardée comme subsidiaire : les associés n’auraient pas d’intérêt propre à agir si la société poursuivait elle-même le même préjudice.

La problématique juridique
L’enjeu était de déterminer si l’action ut singuli exercée par les associés est recevable lorsque la société engage parallèlement une action pour les mêmes faits.
L’action ut singuli était normalement présentée comme subsidiaire de l’action de la société elle-même. En d’autres termes, les associés pouvaient agir au nom de la société si la société elle-même n’exerçait pas ce droit.
Nous avions alors un risque que la société fasse une demande mais qu’elle défende mal ses intérêts sciemment ou non.

La solution de la Cour de cassation

La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel.
Elle juge que, conformément à l’article L. 223-22 du code de commerce, les associés disposent d’un droit propre d’agir en justice pour le compte de la société, indépendamment de l’exercice de cette action par la société elle-même. Elle juge que la cour d’appel a violé ce texte en déniant aux associés tout intérêt à agir.

Portée de cette décision

La haute juridiction clarifie une incertitude jurisprudentielle : l’action sociale ut singuli n’est pas subordonnée à l’inaction de la société.
Pourtant la doctrine et la jurisprudence notamment un arrêt du 27 mai 2021 n°19-17568 avaient pu évoquer le caractère subsidiaire de l’action ut singuli.

Par cette nouvelle décision de mai 2025, l’action ut singuli ne semble donc plus jugée comme subsidiaire. Les associés peuvent agir même si la société exerce une action en parallèle, ce qui renforce la protection de l’intérêt social.

Cet arrêt me semble être une affirmation nette de l’autonomie de l’action sociale ut singuli.
Cette reconnaissance de l’autonomie de cette action conforte la protection des associés. Les associés peuvent défendre les intérêts de la société, sans se voir opposer l’existence d’une action en cours par la personne morale elle-même. Cette indépendance assure à notre sens une réelle protection des associés qui évite le débat sur le recours ou non de la société et de l’efficacité de ce recours.

Par Olivier VIBERT, avocat au barreau de Paris
Kbestan, cabinet d’avocats en droit des affaires à Evreux et Paris.

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