Dans un arrêt du 18 décembre 2024 (pourvoi n° 23-20.785), la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par un avocat contestant la vocation professionnelle d’un compte courant ouvert à son nom. Cette décision clarifie l’interprétation des règles applicables aux conventions de compte courant dans un contexte professionnel.
Les faits : un compte litigieux et des facilités de trésorerie
En 1998, M. [T], avocat, a ouvert un compte courant intitulé « professions libérales » auprès du Crédit du Nord. Par la suite, la banque lui a accordé deux facilités de trésorerie en 2004 et 2007 par deux documents intitulés « avenant à la convention de compte ».
En 2016, après plusieurs mises en demeure de paiement, la banque a dénoncé le découvert et assigné M. [T] en remboursement de la dette. L’avocat a contesté la vocation professionnelle du compte à partir de 2002, date à laquelle il s’était associé avec d’autres avocats dans une société civile professionnelle (SCP). Il soutenait que le compte avait perdu sa nature professionnelle et relevait dès lors des règles du crédit à la consommation.
La question juridique : la vocation d’un compte courant peut-elle évoluer ?
La Cour devait répondre à deux questions principales :
- La vocation professionnelle d’un compte courant peut-elle être modifiée en fonction de l’utilisation effective du compte ?
- Les règles du crédit à la consommation peuvent-elles s’appliquer dans un tel cas, malgré l’intitulé initial du compte ?
La décision : la vocation initiale prévaut
La Cour de cassation a confirmé que la vocation professionnelle d’un compte courant s’apprécie à la date de la convention d’ouverture, et non en fonction de l’utilisation effective ultérieure. Elle a jugé que « la vocation professionnelle d’un compte courant […] peu[t] import[er] les conditions ultérieures dans lesquelles le titulaire l’utilise, dès lors que les parties n’en ont pas modifié la destination contractuelle ».
« Conformément à l’article L. 311-3 du code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi n°93-949 du 27 juillet 1993, les prêts, contrats et opérations de crédit destinés à financer les besoins d’une activité professionnelle sont exclus du champ d’application du code de la consommation.
Par ailleurs, les dispositions régissant le crédit à la consommation ne sont pas applicables à la convention de compte courant à vocation professionnelle, ni aux facilités de trésorerie qui y sont expressément rattachées par avenants. La vocation professionnelle d’un compte courant s’apprécie à la date de la convention d’ouverture, peu important les conditions ultérieures dans lesquelles le titulaire l’utilise dès lors que les parties n’en ont pas modifié la destination contractuelle.«
La Cour a également souligné que les facilités de trésorerie accordées par la banque étaient expressément rattachées au compte professionnel et ne faisaient aucune référence aux dispositions du Code de la consommation.
Enfin, la Cour a rejeté l’argument selon lequel le passage de l’avocat à une SCP aurait modifié la nature du compte, précisant qu’« aucun texte d’ordre public n’interdit à un avocat de conserver un compte professionnel dans cette situation ».
Les implications : une clarification pour les professionnels et les banques
Cet arrêt a des conséquences importantes pour les professionnels et les établissements bancaires :
- Primauté de la convention initiale : Une fois la vocation professionnelle d’un compte établie contractuellement, elle ne peut être remise en question par des évolutions d’utilisation non prévues par les parties.
- Sécurité juridique pour les banques : Les banques peuvent s’appuyer sur les stipulations contractuelles initiales pour contester l’application des règles du crédit à la consommation, sauf modification explicite de la convention.
- Responsabilité des professionnels : Les titulaires de comptes professionnels doivent s’assurer que leurs comptes et facilités sont adaptés à leur situation actuelle pour éviter de telles contestations.
Une décision qui s’inscrit dans une jurisprudence cohérente
Cet arrêt s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence antérieure, notamment les décisions excluant l’application des règles du crédit à la consommation à des comptes courants et facilités de trésorerie à vocation professionnelle (C. Cass. 1ère Chambre civile 14 Oct. 2015 n°14-21.894).
En clarifiant les limites des arguments fondés sur l’utilisation effective des comptes, la Cour de cassation renforce la stabilité des conventions bancaires conclues dans un cadre professionnel. Cette position permet en pratique d’éviter d’avoir des situations complexes où des comptes professionnels basculeraient dans le temps en des comptes soumis aux dispositions du code de la consommation. Cette clarification devrait permettre d’éviter de multiples contentieux en ce sens.
Par Olivier Vibert, Avocat, Paris